Valérie Champigny et l’invention de l’espace
Par Jean-François Biardeaud, agrégé de Lettres et homme de radio
Elle le dit : « Chaque jour, je trouve ma place dans l’iMMMensité » . (Enseigne de l’iMMMensité – Oeuvre pérenne en Maison d’enfants à Caractère social). Trouver sa place dans l’immensité, c’est se faire une place, c’est à dire organiser l’informe (La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. La Génèse)
C’est le travail qu’elle s’est assigné, et qui est rien moins que l’invention de l’espace ; sous diverses modalités : l’espace inventé bouleverse les points de vue, comme ces phrases que l’on ne peut déchiffrer que de haut, ou par l’intermédiaire d’un drone, et qui restent des énigmes. (Poétisation de l’espace*1 avec des lettres géantes. (ex: L’Émer-veilleur-ordinaire au Centre Hospitalier de Bazas). Mais attention pas des énigmes au sens habituel : il y a un sens caché, connu de l’auteur de l’énigme, que le lecteur doit découvrir. Ici, pas de sens dissimulé, mais préexistant à l’image : c’est le lecteur qui trouve SON sens à l’énigme, comme Valérie Champigny trouve sa place dans l’immensité, dans « l’incessant tremblement de ma terre» (installation à Sortie 13 – Pessac en octobre 2018).
La Chaise-échelle et le sens du vide
La chaise est faite pour s’asseoir, se reposer. Elle est l’immobilité, elle renvoie à Parménide, philosophe de l’Etre, qui affirme une fois pour toutes que l’Etre est, et qu’il serait absurde d’affirmer l’existence du non-être. Mais la Chaise-échelle de Valérie Champigny ne se contente pas de l’immobilité de l’Être, puisqu’elle s’élance vers le ciel. L’invraisemblable hauteur du dossier est un élan une force, un mouvement, mais c’est un mouvement immobile, et donc une tension, une force qui est promesse de mouvement. Cette Chaise-échelle nous renvoie à l’échelle de Jacob, qui relie la terre et le ciel, l’homme à Dieu dans la genèse ; elle semble s’élancer jusqu’au ciel, qu’elle relie à la terre. Mouvement immobile, tension des forces, symbole spirituel, synthèse de l’Etre immobile et du perpetuum mobile, elle va plus loin toutefois. Elle nous invite à songer, à réfléchir, à analyser. Bref, elle donne du sens à l’espace, vide jusqu’alors, et nous pousse à chercher le sens ; n’est-ce pas ce que l’on peut demander à une œuvre d’art ?
La Chaise-échelle (8m de haut) a été présentée par Diffractis au jardin dans le cadre du WAC de Bordeaux en juin et juillet 2019.
Nuage-présage, luminescence en suspension.
Il y a aussi « les nuages, les merveilleux nuages » (Baudelaire: Petits poèmes en prose, I (1869)). Le nuage est un concentré de sens, tout comme le mot est une forteresse d’idées. Le nuage n’a pas de forme fixe, il n’a pas de consistance, il n’existe que par ce qu’il voile. Le nuage, c’était aussi le « nubes » le voile dont on enveloppait la fiancée (nubes>nuptiae). Le Nuage-présage de Valérie Champigny est fixe, immuable. Il est découpé en tranches, à la Damian Hirst. Non seulement il ne dissimule rien, mais il encadre l’espace, lui donnant une autre allure, et donc un autre sens. Car le nuage, c’est aussi la nuée au milieu de laquelle entre Moïse (exode, 24 18), où il va chercher l’Eternel, qui a guidé les hébreux dans le désert (exode, 13 21). La nuée découpée est fixée, immobile ; à nous de chercher le sens de cette prise en main de l’espace, ce sens indiqué par le nuage, mais non pas révélé.
L’installation Nuage-présage est une pièce qui se dématérialise par luminescence. Cette installation en suspension figurait dans le « Mish-mash project », exposition personnelle à la galerie Laboratoire Bx , rue Buhan à Bordeaux en avril 2019.
Polyèdres et fractalisation de l’espace
Le travail autour des polyèdres chez Valérie Champigny provient de la Melancolia de Dürer. Le polyèdre , par l’effet de ce qu’on pourrait appeler un hasard si cela ne relevait pas évidemment du destin, est le nom de l’espace situé dans l’ancien Palais de justice de Bazas. Le polyèdre de Valérie Champigny est en trois dimensions ce que Dürer avait esquissé en deux dimensions. Le polyèdre renvoie à un nuage de sens et pour commencer, évidemment, à la mélancolie ; les mélancoliques voient toujours la fin dans tout commencement, leur métal est le plomb, leur signe est chronos, le temps plane sur eux. Mais le polyèdre en trois D est reproduit en deux dimensions, mais surdimensionné, et anime le paysage par le jeu sur les dimensions, dans tous les sens du terme (dimension considérable en deux D, et deux et trois dimensions. Le grand polyèdre ne se laisse voir vraiment que de haut : on peut y voir une autre invitation à prendre de la hauteur, physiquement, mais pas seulement. Le sens conféré à l’espace a quelque chose d’éthique. De même que la chaise-échelle nous invitait à passer de l’assise (comme dans « les assis » de Rimbaud) à l’élan vers le haut, le polyèdre nous envoie vers le ciel. C’est dans la hauteur que l’on peut voir le sens.