Valérie Champigny est une artiste contextuelle. Elle s’imprègne d’un milieu avant d’agir. Son travail se déploie entre langage et systèmes d’espaces. En résidence de création au Pôle Ressources de Proximité LouVésin à Captieux en Sud Gironde proche de la Forêt d’Art Contemporain (PNRLG), tout en prenant en compte l’enjeu de projet autour de la distanciation physique, elle s’est parallèlement nourrit de la culture Gasconne. Suite à la crise sanitaire liée au Covid 19 au printemps 2020, le Pôle Ressources de Proximité Lou Vésin a fait appel à un artiste pour envisager une création graphique au sol invitant à une spatialisation distanciée du public en attente devant le Pôle avec une volonté de poétiser ce lieu de proximité pour les habitants. Le goût de la fête, des férias est fortement ancré dans la culture Gasconne. Plusieurs soirs par semaine des repas en musique animent la place de la petite commune d’environ 2000 habitants située sur le passage entre Gironde et Landes.
Valérie Champigny est déjà intervenue sur la création du Polyèdre aux oiseaux à Captieux en septembre 2019 à l’occasion du partenariat entre l’Ehpad Airial de Biron et le Pôle Ressources Lou Vésin. Cette fois encore Valérie Champigny a joué à détourner les arts et traditions populaires en travaillant à une poétique qui mène sens et géométrie. En effet le Polyèdre au oiseaux, recouvert en partie de brandes et de fougères à la manière d’une palombières, le Polyèdre aux oiseaux est une démarche inversée des abris de chasse. Il stimule l’envie d’aller observer les oiseaux à l’intérieur par les interstices situés à hauteur des yeux (debout ou assis). Il s’agit de stimuler chacun, visiteurs ou résidents à se rendre vers l’extérieur, à profiter de l’instant présent en observant les oiseaux. L’intérieur du polyèdre comprend une série de perchoirs sur lesquels reposent des graines et de petites réserves d’eau. En juillet 2020, c’est donc la terrasse du Pôle Lou Vésin que l’artiste plasticienne investit par une oeuvre géométrique, colorée, qui invite à trouver sa place mais aussi aux jeux. Elle reprend dans son processus créatif, les codes des marquages au sol utilisés par les enfants dans les jeux traditionnels tels que la marelle, l’escargot ou encore dans les danses, les rondos où les emplacements étaient définis avant les fêtes.
La composition du Lo Sauta-Pé est toute à la fois construite dans le sens où elle définie des pleins et des vides pour répondre à la commande des emplacements mais elle est à la fois fondée sur une construction empirique sur les notions de familles de formes. Chaque surface peinte apparait comme un tapis et comme si la composition entière s’apparentait à un pique-nique que l’on aurait déserté pendant le confinement et qui par sa générosité en couleurs n’aspire qu’à reprendre vie. Chaque surface est traitée comme une « équation » où la géométrie et les formes sont mises en dialogue par superposition, juxtaposition, par fragmentations et jeux d’interférences, et tout ce système d’organisation des formes constituent une syntaxe surprenante et équilibrée. Lo sauta-pé est une expression empruntée à la culture gasconne (Le saute à pied) qui désigne les jeux tels que la marelle. Utiliser l’univers des jeux qui font référence à des territoires au sol, à des emplacements, à une règle du jeu pour questionner, remettre en question notre distance physique dans ce contexte lié à la Covid 19. Si l’artiste renvoie au libre-arbitre, à la responsabilité de chacun sur cette question de la distanciation, elle n’en propose pas moins une règle du jeu sans cesse à redéfinir selon le lieu où l’on se trouve.
Après des études à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Bordeaux, Valérie Champigny crée des dispositifs plastiques assimilés à l’art relationnel (Nicolas Bourriaud). En résidence, elle travaille ses propositions après un temps d’observation, d’immersion. Elle prend le temps avant toute création de ressentir comment l’on vit dans un lieu, comment on y circule ou comment on y mange tout simplement. Le Pôle Ressources de Proximité « Lou Vésin » (« Les voisins » en gascon) met en avant la notion de convivialité, en enjeu bien difficile à concilier avec la distanciation physique. C’est ainsi que Valérie Champigny, maniant l’art du paradoxe se saisie des failles dans lesquelles elle aime à se glisser, comme des équations, qu’elle résout avec minutie sur un support brut, granuleux, dans un ludisme affirmé teinté de rigueur.
Si Valérie Champigny a développé un vocabulaire artistique singulier usant de diverses références à l’art géométrique, elle cultive également une appétence vers l’expression corporelle, un langage corporel toujours renouvelé qu’elle utilise sous forme de performance vernaculaire pour la création de « Lo Sauta-pé » avec pour intention particulière de rendre la peinture vivante. La performance a donné lieu à une vidéo dont la prise de vue par drone, donne la voir la composition graphique à la manière d’un tableau animée ou même des jeu vidéo où chaque fois de nouveaux personnages entrent et sortent… et nous laisse imaginer que peut-être les habitants oseront une démarche fantaisiste quand ils traverseront le Lo Sauta-Pé, ce que les enfants ont déjà acquis… On note que l’apport en « poétisation de l’espace » cher à la plasticienne ne retranche en rien la fonctionnalité de la distanciation et en cela, le pari est gagné !
T.Laurens
4 septembre / 10H – Rencontre avec l’artiste au Pôle Ressources Lou Vésin :
– Présentation parcours, créations pérennes, démarche et enfin un décryptage du « Lo Sauta-pé ».
Lien Article Sud-Ouest : https://www.sudouest.fr/2020/08/05/sud-gironde-a-captieux-la-distanciation-physique-passe-par-le-street-art-7720659-2808.php